Monday, April 12, 2010

Le rapport entre la liberté et la mort

Vers la fin du roman La Nausée, le narrateur fait une réflexion sur l’existence (comme il fait tout au long du roman), mais d’une manière un peu plus définitif qu’auparavant. Après son rencontre avec Anny et après qu’il ait décidé de quitter Bouville pour vivre à Paris, il se dit : « Je suis libre : il ne me reste plus aucune raison de vivre » (221). Un peu plus tard, il précise que son « passé est mort, M. de Rollebon est mort, Anny n’est revenue que pour m’ôter tout espoir. Je suis seul… seul et libre. Mais cette liberté ressemble un peu à la mort » (221). Ce qui m’intéresse dans cette réflexion est la façon dont le narrateur renonce à la vie d’un sens figuré. Dès qu’il a appris d’où vient sa Nausée et ce que c’est d’exister, il est convaincu qu’il a perdu à cause du fait qu’il est conscient de tout cela et qu’il ne se ment plus. Cette idée est renforcée quand il fait remarquer que « toute ma vie est derrière moi » (221). La seule chose qui reste à faire pour le narrateur, c’est de survit, tout comme fait Anny.

Est-ce qu’il est vraiment libre s’il faut survivre ? Est-ce qu’il peut jamais échapper à la Nausée maintenant qu’il est conscient de son existence et de ce que c’est d’exister ?

Sartre, « La Nausée » (pages 218 à 250)

Monday, April 5, 2010

L’angoisse et la peur associées à l’existence

Il existe plusieurs reprises dans le roman La Nausée ou le narrateur réfléchit à l’existence. À la page125, il attribue sa peur et son angoisse à son manque de raisonnement : « Je n’avais pas le droit d’exister. J’étais apparu par hasard, j’existais comme une pierre, une plante, un microbe » (125). Deux pages plus tard, il devient plus perturbé qu’avant : « Mon existence commençait à m’étonner sérieusement. N’étais-je pas une simple apparence ? » (127). Son agitation semble venir à une sorte de culmination à la page 143, quand il considère sa vie dans un rapport avec celle de M. de Rollebon, l’homme dont il écrit :

« M. de Rollebon était mon associé : il avait besoin de moi pour être et j’avais besoin de lui pour ne pas sentir mon être… Il se tenait en face de moi, et s’était emparé de ma vie pour me représenter la sienne. Je ne m’apercevais plus que j’existais, je n’existais plus en moi, mais en lui… Je n’étais qu’un moyen de le faire vivre, il était ma raison d’être, il m’avait délivré de moi… J’existe… J’existe » (143).

Ce passage, et les pages qui suivent, semblent remplis de crainte et d’inquiétude du narrateur. Il questionne sa propre existence et semble ne pas pouvoir se considérer comme sujet de sa propre vie. Tout au long du roman, des choses se passent à lui, tout a un effet sur lui, il agit toujours comme objet. C’est peut-être cette relation de sujet/objet qui le trouble, car ses pensées et sa psychologie le mènent à cette angoisse : « Ma pensée, c’est moi : voilà pourquoi je ne peux pas m’arrêter. J’existe parce que je pense… et je ne peux pas m’empêcher de penser. En ce moment même—c’est affreux—si j’existe, c’est parce que j’ai horreur d’exister » (145).

Les incertitudes de l’existence sont si effrayantes pour lui que ses pensées deviennent dominées par l’idée de la fuite. Une explication de sa peur ne devient claire que pendant le déjeuner avec l’Autodidacte : « Il n’y a rien, rien, aucune raison d’exister » (161). Il semble donc que la raison (ou bien le manque de raison) provoque chez le narrateur un sens d’incertitude et d’instabilité qu’il n’arrive pas à surmonter. L’angoisse et la peur dominent des périodes de sa vie parce qu’il ne réussit pas à accepter ce qui est hors de la raison.

Sartre, « La Nausée » (pages 106 à 180)