Près de la fin de la partie du roman qui s’appelle Combray, le narrateur raconte un moment dans son enfance où il est en train de promener avec sa famille à travers les champs qui appartiennent à Monsieur Swann. Tout au long de la promenade, le narrateur est complètement fasciné par les fleurs et les odeurs de l’été qu’il n’aperçoit pas tout de suite la fillette qui le regard. Cette fillette fait grande impression à lui, même plus que la beauté des fleurs : « Tout à coup, je m’arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s’adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier » (Proust, 186). C’est ainsi que la fille que le narrateur rencontre au champ demande à lui plus qu’un regard simple, mais plutôt l’attention de tout de l’être : l’esprit, le physique, l’émotionnel et l’imagination. L’intensité de ce regard est renforcée par les yeux noirs de la fillette qui « réduit en ses éléments objectifs une impression forte » (Proust, 186), ce dont le narrateur se souvient pour les années à venir. C’est la couleur noire qui est la chose la plus frappante chez la fille et qui fait le narrateur tomber amoureux d’elle : « Si elle n’avait pas eu des yeux aussi noir—ce qui frappait tant la première fois qu’on la voyait—je n’aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus » (Proust, 186). Cependant, ses yeux sont plus que seulement des yeux pour le narrateur : « Ce regard n’est pas que le porte-parole des yeux, mais à la fenêtre duquel se penchent tous les sens, anxieux et pétrifiés, le regard qui voudrait toucher, capturer, emmener le corps qu’il regarde et l’âme avec lui » (Proust, 186). Pour le narrateur, les yeux de cette fillette ont un pouvoir incroyable qui le rend impuissant, lui. Même s’ils se regardent à travers un champ et qu’aucun mot n’est prononcé, il semble que la vie du narrateur est changée seulement par le regard de cette fillette et ses yeux noirs.
Proust, « Du côté de chez Swann » (pages 152 à 200)
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